Voilà quelques jours j’ai pris l’autobus de nuit. En entrant, j’ai remarqué deux femmes autochtones assises au fond. Dès que je me suis installé, plus vers l’avant, je me suis rendu compte qu’une des deux femmes engueulait quelqu’un, avec une voix traînante qui sentait la robine. Elle le traitait de fucking rat, de looser et de quelque chose qui ressemblait à cob lober…
Je regardais les quelques personnes présentes dans l’autobus et tous semblaient mal à l’aise. À un moment donné, je me suis retourné et j’ai vu qu’elle engueulait un homme, qui restait là, crispé, sans rien dire. Quelques secondes plus tard, le chauffeur a crié, en français :
— Vas-tu arrêter de crier? Sinon, j’appelle la police!
Elle a arrêté de crier pendant qu’il disait ça et elle a repris de plus belle une seconde ou deux après.
À quatre heure et vingt du matin, j’étais vraiment tanné de l’entendre et je me retenais de ne pas lui crier un shut the fuck up! bien senti.
À un moment, elle a cessé sa rengaine et les deux femmes se sont misent à chanter une petite ritournelle dans leur langue. C’était presque agréable, n’eût été de la voix de celle qui nous avait tant embêtés auparavant…
Et, on ne sait pas trop pourquoi, le chant a cessé, et la pénible boucle sonore est repartie de plus belle!
…fucking rat… …you’re a fucking loser… …you’re a cob lober…
Un peu plus tard, le chauffeur a arrêté l’autobus sur le coin d’un boulevard et la femme a demandé si nous étions sur le coin d’Atwater. Il a répondu que oui même si ce n’était pas vrai, nous étions même assez loin (à environ 20 minutes de marche). Elles sont sorties en remerciant le chauffeur (ce qui était assez surprenant!).
Quand il a fermé la porte, les gens se sont mis à ricaner, quelques petits applaudissements se sont même fait entendre. On pouvait voir les deux femmes regarder le nom des rues et, quand elles se sont rendu compte de l’arnaque, elles sont revenues vers l’autobus pour tenter de rembarquer. Mais le chauffeur n’a pas ouvert la porte et il est même reparti, brûlant un feu rouge pour s’éloigner au plus vite.
(Encore quelques ricanements et applaudissement)
En sortant de l’autobus, j’ai remercié le chauffeur, et doublement, en le lui spécifiant par un pouce en l’air et un sourire.
*
Après coup, je me demande encore comment je me place par rapport à cette histoire, étant donné qu’il y a une partie de ma blanchitude qui se sent toujours coupable quand elle voit des autochtones à Montréal dans cet état de décrépitude. Est-ce que le problème social autochtone serait le reflet amplifié de notre propre échec social?
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