Je vous présente : Manilla

Ce qui va suivre n’est tellement pas dans mes habitudes. Premièrement, c’est un texte de fiction, ce que je ne fais pas très souvent (l’actualité dépasse trop souvent la fiction!), et en plus c’est inspiré d’un rêve que j’ai fait voilà environ trois jours. De plus, je dois me souvenir de mes rêves environ trois fois par année, et j’exagère presque. Puis, ça m’a hanté depuis, alors j’ai décidé de l’exorciser en l’écrivant. Habituellement, ça marche.

Je ne peux prévoir comment vous allez le lire, mais ça me parle beaucoup, comme une fable, un proverbe. Je sens qu’il y a un avertissement là-dedans, bien en lien avec le contexte social actuel. J’espère que vous m’aiderez à y voir plus clair, ou peut-être réussirez-vous seulement à me conforter dans mon idée.

Aussi, j’aimerais bien que Édouard Hardcore lise ça, et puis tiens! Nelly Arcand, pour ne nommer que ces deux écrivains-là! Vous comprendrez bien assez vite pourquoi…

Manilla

Cela se passe dans des contrées oniriques où la chaleur a rendu les teints cuivrés de générations en générations. Dans cette civilisation, comme toutes les autres, la prostitution est une pratique qui a lieu, mais dans celle-là elle revêt un caractère de prestige, malgré sa prohibition aux yeux de la majorité.

Une de ces femmes, Manilla, vend son corps avec fierté, voire même de l’orgueil, ce qui lui vaut l’admiration de plus en plus de gens, et de plus en plus importants. Elle fait beaucoup d’argent, ce qu’il lui permet de s’acheter les plus belles robes, dans les plus beaux tissus, et des bijoux aussi, pièges à regards… Surtout, elle est invitée partout où ça compte.

Mais Manilla a un but ultime : elle veut La Cicatrice. Cette cicatrice qui longe le pubis, gravée par un couteau argenté, est la preuve que l’on joue dans les grandes ligues du pouvoir, ce qui augmenterait d’autant le sien. Le problème, c’est qu’il faut se rendre jusqu’au lit d’un homme important en particulier, mais son identité réelle est gardée dans le plus grand secret, et tenter d’investiguer est la meilleure manière de ne jamais l’atteindre.

Alors, elle vogue de vague en vague jusqu’à ce que son opportunité se présente. La procédure pour le rendez-vous est un plan inextricable et surtout long, trop long pour elle qui avait tant espéré ce passage, qui prend progressivement des allures de rituel transmutatoire dans sa conscience. En chapelet elle compte les jours, qui deviennent des heures, et des minutes, et des secondes, jusqu’à ce qu’elle quitte son foyer solitaire vers une hypothétique fortune, une nuit de rêve. Après quelques rencontres et un transport de sa personne dans une grande malle, un homme la libère de sa noirceur, lui ouvre une grande porte richement décorée, et elle entre dans une grande pièce scintillante, pour l’instant vide de son trophée viril.

Plus personne n’entendit parler de Manilla ni ne la vît vivante. Des rumeurs circulent qu’elle fut découpée en morceaux. On en vint même à dire qu’elle avait été tellement bonne que l’homme n’avait pas réussi à s’arrêter seulement à une entaille pubienne.

(Oeuvre graphique : Kiel Bryant)

24 Réponses to “Je vous présente : Manilla”


  1. 1 raymondviger juin 12, 2008 à 7:38

    La seule personne qui peut interpréter un de ses rêves, c’est la personne qui l’a faite. Un rêve c’est comme une toile dans une galerie. On a beau avoir fait Histoire de l’art ou un autre truc du genre, ça ne nous donne pas le droit d’interpréter à la place de l’artiste sa création et ses motivations.

    Et je t’en parle en toute connaissance de cause. Je représente une quarantaine de jeunes artistes au Café-Graffiti. Sachant les motivations des jeunes quand ils ont peint une toile, je peux te dire que les interprétations que j’entends des clients qui viennent nous visiter sont souvent très loin de la réalité.

    Comme tu nous l’a demandé; pour t’aider: Renart, qu’est-ce que ce rêve représente pour toi?

  2. 2 Alexis St-Gelais juin 12, 2008 à 11:34

    Je suis d’accord avec Raymond Viger, ce n’est pas à nous de l’interpréter. Le plus spécial, dans ce cas, c’est que ton rêve a du sens. Les rêves dont je me rappelle le plus souvent sont des histoires rocambolesques sans queue ni tête, articulées autour d’un fil conducteur mais ponctuées d’événements extrêmement bizarres qui n’ont absolument aucun lien. J’ai abandonné l’interprétation personnelle de mês rêves le jour où j’ai vu en songe une cabane dans un arbre remplie de carottes parlantes et où, en m’enfuyant, je mettais une grand-mère dans un coffre de voiture… Ne vous en faites pas, je ne suis pas un personnage violent envers les personnages âgées 😀 .

    Peut-être une piste, tout de même: si ce rêve est antérieur à tes derniers billets, il les a probablement inspirés d’une certaine manière, et vice-versa dans le cas contraire.

  3. 3 Alexis St-Gelais juin 12, 2008 à 11:37

    D’ailleurs, ça me revient aussi: je rêve régulièrement que je suis poursuivi par un T-Rex dans un endroit complètement noir, armé d’un malheureux 22 qui reste sans effet sur la bête. En général, je me réveille quand il m’attrappe, pour ne me rendormir que longtemps après. Réminiscence de Jurassic Parc?

  4. 4 La Tourneuse de page juin 12, 2008 à 13:52

    D’après moi, je suis pas psy, c’est ma théorie perso, soit que tu lis trop de romans policiers, soit que tu regardes trop de films pornos 😎 😛 lolll!

  5. 5 renartleveille juin 12, 2008 à 13:56

    Raymond,

    pour avoir étudié pas mal en art, en histoire de l’art, et même en philosophie de l’art, je suis partiellement en désaccord. Si l’art ne peut pas rejoindre les gens, parce que c’est l’artiste qui possède et garde jalousement la clé, il y a un problème. Ce qui n’enlève pas le fait que l’artiste a bien sûr sa propre interprétation, démarche, nommons-la comme on veut! Par contre, je ne crois pas qu’elle doive prédominer sur celle des autres.

    Je crois beaucoup en la philosophie de l’oeuvre ouverte, titre d’un essai de Umberto Eco. Voilà un résumé :

    « Dans la préface à L’œuvre ouverte, Umberto Eco définit l’œuvre d’art comme étant « un message fondamentalement ambigu, une pluralité de signifiés qui coexistent en un seul signifiant » . Comme il le dit lui-même, c’est, alors qu’il publie L’œuvre ouverte (en 1962), « une notion sur laquelle la plupart des esthétiques contemporaines s’accordent » .

    Son travail consiste, dans L’œuvre ouverte, à voir « comment cette ambiguïté devient aujourd’hui une fin explicite de l’œuvre, une valeur à réaliser de préférence à toute autre » (c’est ce qu’il nomme « poétique de l’œuvre ouverte »), et à montrer « que cette condition [est] propre à toute œuvre d’art » en procédant à une analyse du langage poétique ; l’art informel est ensuite étudié par Umberto Eco car il est représentatif de l’ouverture nouvelle que met en œuvre l’art contemporain. »

    Malheureusement, j’ai l’impression que l’idée de l’art très personnel est un relent de la dernière période faste de l’histoire de l’art qui a réussi à poindre auprès de la population en général, c’est-à-dire la période surréaliste, dans laquelle Salvador Dali prend une bonne part du marché… Et encore plus l’expressionnisme, dans le fond, qui en est la graine. Il y a bien le Pop Art, dans les années 50-60 qui a bien marché, mais cela est plus représentatif de l’avènement de la superficialité, du décoratif dans l’art, ce qui est loin de l’artiste qui étend ses tripes sur la toile, comme les « drippings » de Jackson Pollock l’ont fait, un peu avant.

    Pour ce qui est du rêve en tant que tel, il est beaucoup moins coloré que le récit que j’en ai fait. Il y a là-dedans beaucoup du juliecouillardgate, et de toute la question de l’hypersexualisation de la société. Aussi, au niveau plus anecdotique, que revêt l’ambiance du pays chaud, je crois que la découverte récente d’une tribu qui vit en autarcie quelque part en Amérique du Sud, si je me souviens bien, n’y est pas étrangère.

    En somme, je ne crois que ce soit un rêve qui me concerne en propre, qui me parle de moi, et c’est pourquoi je pense que je m’en suis souvenu si intensément, pour que je puisse le partager.

    Il est trop tard, mais je crois que je n’aurais pas dû spécifier que cela vient d’un rêve…

    Alexis,

    le premier rêve est un agrégat difficilement séparable, mais le deuxième est visiblement la démonstration d’un sentiment qui rejoint, à mon humble avis, hé hé! soit le complexe d’infériorité, soit simplement l’impuissance. Si c’est vraiment Jurassic Park, ce n’est qu’accessoire…

  6. 6 Alexis St-Gelais juin 12, 2008 à 14:41

    C’est possible. Je faisais souvent ce rêve vers les 14-15 ans, à l’époque où j’étais très timide. Ça doit bien faire un an et demi qu’il n’est pas revenu, depuis que je fais de la politique en fait 😀 . Est-ce un signe?

  7. 7 renartleveille juin 12, 2008 à 19:12

    La Tourneuse de page,

    est bonne! 😉

    Alexis,

    sûrement!

  8. 8 raymondviger juin 12, 2008 à 20:20

    Je comprends ton point de vue. J’espère que je ne t’ai pas blessé quand j’ai parlé de ceux qui ont étudié l’histoire de l’art. Je te donne un exemple plus concret pour mieux m’expliquer. L’artiste peint la toile de son ex avec un trou dans la glace. Pour lui, il vient de peindre ses émotions reliées à une rupture amoureuse. Des gens passent devant la toile et en font une grande interprétation. S’ils disent qu’eux ressentent de la sérénité d’une beauté féminine dans la froidure de l’hiver, pas de problème. Mais quand ils commencent à dire que c’est ce que l’artiste a vécu et ressenti en peignant la toile, c’est là que je décroche.

    Une toile, comme un texte ou une musique, nous fais vivre des émotions différentes. Nous l’interprétons en fonction de nos émotions propres. L’artiste, de son côté, a vécu les siennes.

    C’est comme dans mon livre Quand un homme accouche. Un lecteur me rencontre dans un salon du livre pour me dire qu’il avait adoré l’histoire. Il était convaincu que TOM, le personnage qui m’accompagne dans l’histoire est mon père. Il avait fait toute une psychanalise de l’histoire pour me le prouver. Si lui voyait son père, tant mieux pour lui. Mais de mon côté, mon père s’était suicidé depuis longtemps et il n’avait rien à voir avec mon histoire.

    Sans rancune mon cher Renart.

  9. 9 renartleveille juin 13, 2008 à 4:08

    Raymond,

    je n’étais pas du tout fâché quand j’ai écrit mon commentaire, on jase…

    😉

  10. 10 raymondviger juin 13, 2008 à 7:12

    Tu as étudié l’histoire de l’art à quel endroit?

  11. 11 renartleveille juin 13, 2008 à 13:21

    Raymond,

    au collège Lionel-Groulx et à l’UQAM, dans le cadre de mon DEC et de mon BAC en art.

  12. 12 Anarcho-pragmatiste juin 13, 2008 à 20:03

    Tiens, tiens, tiens, Renart piqué dans son orgueil par une dame plus jeune qui fait son big shot en réponse à Raymond Viger!

    Et en plus Raymond Viger écrit « Sans rancune » dans sa réponse, hahahaha!

  13. 13 Anarcho-pragmatiste juin 13, 2008 à 20:07

    @Renart

    Je dois tout de même préciser que ton commentaire était excellent et que je suis presque entièrement d’accord avec toi. Pourquoi ceux à qui s’adressent l’art ne pourraient-ils pas l’interpréter eux aussi? Ne serait-ce pas se priver d’une richesse artistique insoupçonnée?

    À part peut-être concernant l’hypersexualisation où tu exagères un peu…

  14. 14 Anarcho-pragmatiste juin 13, 2008 à 20:10

    Pourquoi ceux à qui s’adresse (pas de nt) l’art ne pourraient-ils pas l’interpréter eux aussi?

  15. 15 renartleveille juin 14, 2008 à 13:47

    Anarcho,

    « Renart piqué dans son orgueil par une dame plus jeune qui fait son big shot en réponse à Raymond Viger! »

    Hein? J’ai beau regarder, je ne comprends pas le lien…

  16. 16 Anarcho-pragmatiste juin 14, 2008 à 14:00

    Si tu ne fais pas le lien, c’est parce qu’il n’y en avait pas finalement et que mon propos est impertinent. Ma blague a tourné court.

    Mais pour ta gouverne, reviens à ton billet précédent.

  17. 17 Anarcho-pragmatiste juin 14, 2008 à 14:05

    En fait, je parle plutôt des commentaires cinématographiques dans le billet « Renart à poil ».

  18. 18 raymondviger juin 14, 2008 à 19:48

    On a eu beaucoup d’étudiants de l’UQAM en histoire de l’art qui passe par le Café-Graffiti et qui viennent nous rencontrer. Tu as dû faire tes cours avant que l’UQAM en fasse une pratique régulière. Il n’y a pas de malaise pour que les gens interprêtent une toile ou une création en fonction d’eux, de leur vécu et leurs émotions. Mais ils ne peuvent l’imposer leur vue à ce qeu l’artiste a vécu.

    Transposer ses émotions personnelles sur celle de l’artiste, c’est comme des pseudo-psychiatres qui font des profils de personnalités qu’ils n’ont jamais rencontré.

    Pour la joke d’anarcho, j’ai dû passer au moins 15 minutes à tenter de la comprendre.

  19. 19 Mandoline juin 15, 2008 à 0:28

    Prostitution littéraire…??!!? Peut-être des lecteurs qui cherchent à te découper en morceaux… Mais toi? Tu recherches quelle cicatrice? M’ enfin, on jase là… Tu es sans aucun doute le mieux placé pour analyser ce que ta tête te fait miroiter 😉

  20. 20 renartleveille juin 15, 2008 à 5:03

    Raymond,

    « Il n’y a pas de malaise pour que les gens interprêtent une toile ou une création en fonction d’eux, de leur vécu et leurs émotions. Mais ils ne peuvent l’imposer leur vue à ce qeu l’artiste a vécu. »

    Je continue de croire que le point de vue de l’artiste est le plus anecdotique et le moins important, puisque l’oeuvre, dans le meilleur des mondes, va survivre à l’artiste.

    Mandoline,

    très intéressant ce que tu me racontes! Ça me fait avancer, vraiment! Le regard des autres m’est important, je ne le répéterai jamais assez.

  21. 21 Anarcho-pragmatiste juin 15, 2008 à 13:55

    @Raymond Viger

    C’est normal que vous ne comprenez pas. Ça s’adressait à Renart.

  22. 22 raymondviger juin 15, 2008 à 16:26

    @ Renart: Il est vrai que l’oeuvre va survivre à l’artiste. Mais les interprétations que les gens en font peuvent varier de l’un à l’autre. Si les gens parlent de leurs émotions personnelles vis-à-vis une toile, ils ont tous raisons. S’ils essayent de deviner l’intention de l’artiste, avec leur interprétation divergente, ils ont tous torts. Quand on parle de soi, on peut difficilement se tromper. Quand on parle des autres, c’est une autre affaire.

    @ Anarcho: désolé ayant vu mon nom, je cherchais à comprendre le lien avec moi.


  1. 1 Comment bien démarrer un blogue « Renart L’éveillé / Carnet résistant Rétrolien sur juin 13, 2008 à 20:55
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